Taxinomie contre taxonomie

Le présent article s’adresse à qui veut savoir pourquoi il dispose du doublon taxonomie/taxinomie, et vise à donner des éléments de choix aux indécis et à infirmer quelques idées fausses qui circulent à ce sujet. Qui ne veut pas est évidemment dispensé de poursuivre sa lecture. La définition du terme, l’évolution de celle-ci, et les nuances possibles avec classification et systématique ne seront pas ici discutées.

Sommaire

  1. I. Date d’apparition de quelques termes
  2. II. Emprunts
  3. III. Origine et évolution
  4. IV. Terminologie et lexicologie
  5. V. Citations contradictoires
  6. VI. Éléments de comparaison avec d’autres langues
  7. VII. Conclusion
  8. Notes
  9. Toilographie

I. Date d’apparition de quelques termes

1813 : taxonomie 0
1832 : taxonomique 1
1864 (?) : taxon 2
1868 : taxinomie 3
1872 : taxinomique 4

II. Emprunts

Il est parfois avancé que le terme taxonomie est un anglicisme. Or, le terme anglophone taxonomy 5 est largement postérieur au néologisme francophone taxonomie, dont il provient. L’explication simpliste est dûe soit à une déduction erronée provenant d’une recherche partielle se bornant à une comparaison hâtive, soit à une stratégie pour promouvoir une forme en jouant sur un complexe identitaire. Les deux hypothèses sont d’ailleurs compatibles.

Récemment est également apparu le terme anglophone taxinomy 6 sur le modèle taxinomie. Outre que ce dernier calque risque de donner du fil à retordre aux partisans du différentialisme à outrance, le doublon anglophone illustre que l’anglais est largement influencé par le français, et que, contrairement à une idée reçue, l’anglais comporte probablement bien plus d’emprunts au français que le français ne comporte d’emprunts à l’anglais.

Enfin, il est surprenant que des termes tels que taxonomique soient parfois considérés comme des emprunts à l’anglais plutôt que des composés de taxonomie. Ils se présentent en effet comme les dérivés réguliers de ce dernier.

III. Origine et évolution

On peut reconstituer une évolution parfaitement cohérente, le grec taxis (pl. taxa) donnant en latin scientifique taxum (pl. taxa), en français taxum (pl. taxa, et taxums), puis taxon (pl. taxons). Il n’y a cependant pas continuité puisque, s’agissant d’un mot savant, il n’y a pas passage par le latin classique et le bas latin.

Le terme taxonomie est construit à partir du même mot grec, ainsi que le précise l’auteur du néologisme, il ne passe donc pas par le latin. Il est antérieur à taxon, et, contrairement aux apparences, il n’entre pas directement dans un rapport de dérivation avec ce dernier. Toutefois, pour faire le tour de la question, et mesurer la justesse de la genèse du premier néologisme ou le sens de l’anticipation à l’origine de celui-ci, on ne saurait faire l’impasse sur la date d’apparition de taxum, en français et en latin scientifique.

La réfection de taxonomie en taxinomie serait postérieure à taxon. Et elle est curieuse en ce sens qu’elle ne s’accompagne pas de la rectification de ce dernier. La possibilité d’élision de la voyelle finale lors de l’emprunt de taxis se trouve donc entérinée.

L’usage majoritaire, malgré la recommandation de l’Académie des sciences et l’avis de certains linguistes préconisant taxinomie, reste taxonomie. Il semblerait que, sur cette question, l’usage résiste et préfère la cohérence interne de la langue aux racines grecques. En effet, taxonomie et taxon entretiennent un tel rapport sémantique que la réfection d’un seul des deux termes parait difficilement justifiable. De plus, de par leur proximité phonétique, ces termes s’interprètent aisément comme des dérivés d’un même lexème, tax(o)-, bien que cette construction ne soit avérée que pour le premier.

Ainsi, la réfection de taxonomie en taxinomie n’est pas perçue comme judicieuse, car elle crée une irrégularité, taxon/taxinomie (vs taxon/taxonomie), vouée à perdurer jusqu’à rectification du mot taxon par un nouvel étymologiste zélé. En l’absence d’une telle perspective, et dans l’optique de disposer de mots formés sur un lexème cohérent par rapport à la langue d’emprunt, il aurait pu être envisagé de créer, au contraire, taxonomie et taxon, homonymes et synonymes des précédents, sur un nouveau lexème tax- issu du latin scientifique taxum.

IV. Terminologie et lexicologie

La forme taxonomie est davantage utilisée en biologie que dans les autres sciences. Cependant, il ne s’agit pas d’un emploi réservé à ce domaine, mais simplement d’une différence de fréquence d’emplois par les scientifiques selon leur spécialité.

La forme taxinomie ne constitue nullement un apport terminologique. Il est une réfection savante du terme originel taxonomie. Ce sont donc deux variantes d’un même terme. Il sont formés sur des variantes d’un lexème provenant du même étymon grec. Les formes du lexème se retrouvent dans plusieurs mots dont les exemples qui suivent figurent dans le Trésor de la langue française, à savoir

Et, coïncidence, le lexème tax- a un homonyme qui, bien que distinct étymologiquement, permet de former un terme de sens relativement proche dans l’expression « taxer quelqu’un de quelque chose », puisqu’il s’agit alors de « l’assimiler à une espèce de quelque chose ».

V. Citations contradictoires

Voici quelques citations tirées du Trésor de la langue française, à l’article « TAXINOMIE, TAXONOMIE, subst. fém. » :

Où l’on apprend, à la même entrée, que taxonomie, 1813, est formé de tax(o)- et de -nomie, tout en étant un anglicisme correspondant à un terme anglophone qui lui est postérieur, taxonomy, 1828 ; et que taxonomique est un anglicisme correspondant à l’anglais taxonomic, tout en étant dérivé de taxonomie, par adjonction du suffixe -ique.

En outre, il est regrettable que l’avis de l’Académie des sciences évoqué ne s’accompagne pas d’une citation ou d’une référence.

VI. Éléments de comparaison avec d’autres langues

Voici les équivalents de taxonomie/taxinomie dans quelques langues 7 :

VII. Conclusion

Le doublon résultant de la réfection de taxonomie en taxinomie présente l’avantage indéniable de profiter à tous ceux qui confondent les « o » et les « i », mais l’inconvénient certain de profiter peu à ceux qui confondent également les « x » et les « m ».

Notes

0. Augustin Pyramus de Candolle, Théorie Élémentaire de la botanique, ou Exposition des principes de la classification naturelle et de l'art de décrire et d'étudier les végétaux, 1813, p. 19.

1. F. Raymond, Dictionnaire général de la langue française ou vocabulaire universel des sciences, des arts et des métiers, Tome second M-Z, Paris, 1832.

2. La date 1864 est mentionnée dans l’article Taxinomie ou taxonomie? Quand l’usage s’emmêle (voir section Toilographie), mais est douteuse en l’absence de source précise.

3. Dupiney de Vorepierre, Dictionnaire français illustré et encyclopédie universelle, s.v. taxonomie: Taxonomie et mieux taxinomie, 1868.

4. Littré, 1872.

5. Merriam-Webster, 1828.

6. J.A. Simpson and E.S.C. Weiner, The Oxford English Dictionary, vol. XVII, 1989, p. 682.

7. Google traduction.

Toilographie