Malgré la profonde sympathie que tend spontanément à inspirer la philosophie babacoule, autant le signaler tout de suite : il s’agit ici de grammaire. Beaucoup d’anciens écoliers se souviennent probablement qu’une malheureuse souris était mangée par un chat impitoyable, et peut-être aussi que des cheveux étaient coupés par son père, sans qu’on ait bien su de qui. Bien sûr, le passif dont il s’agit s’emploie, outre dans ces tournures particulières, qui n’ont en réalité guère d’autre intérêt que de servir d’exemple à la construction du passif tel qu’il est généralement enseigné, dans des phrases beaucoup plus idiomatiques, et s’avère même parfois utile. Mais ses limites obligent parfois, pour formuler une phrase dans cette voix, à l’utilisation d’un autre passif, qui, sans être mentionné dans les manuels scolaires, n’en est pas moins vivant.
Un défaut du passif conventionnel concerne la sémantique découlant de sa structure. En effet, les phrases qui l’emploient ne sont pas toujours comprises comme passives, car l’auxiliaire être suivi du participe passé peuvent parfois être compris comme le verbe être suivi d’un adjectif ou d’un participe passé employé comme tel.
La souris est mangée (par le chat).
Le favori est battu (par son adversaire).
Cependant, si on veut indiquer clairement que la souris n’est pas encore avalée, on peut évidemment utiliser la sorte de périphrase progressive que constitue en train.
La souris est en train d’être mangée (par le chat).
Le favori est en train d’être battu (par son adversaire).
Il en résulte parfois des phrases plus lourdes.
Ce défaut se retrouve moins dans les phrases où le temps passé ou présent importe peu. Un évènement passé peut, en effet, être décrit au présent. En particulier, par exemple, lorsqu’il est actualisé par une image.
Le criminel est arrêté (par la police).
Il ne se retrouve pas non plus aux temps non ambigus concernant le caractère progressif ou non de l’action. Le passé composé, par exemple, n’est jamais progressif.
Le favori a été battu (par son adversaire).
Enfin, il ne se retrouve pas, dans les phrase décrivant une généralité.
Les œufs sont incubés (par la femelle) pendant plusieurs mois.
Un autre défaut de ce passif est sa syntaxe. En effet, le sujet de la phrase passive est toujours le complément d’objet direct de la phrase active.
Ses cheveux lui sont coupés par son père. (Comme passif de « Son père lui coupe les cheveux. », la curieuse phrase : « Ses cheveux sont coupés par son père. » qu’il peut venir à l’esprit serait plutôt le passif de la phrase, toute aussi curieuse, « Son père coupe ses cheveux. ».)
Les petits fours sont en train d’être cuits.
Or, il serait parfois plus satisfaisant de le baser sur le complément d’objet indirect, afin de privilégier la personne sur la chose.
Pour cette même raison syntaxique, les phrases intransitives directes, mais transitives indirectes ne disposent qu’exceptionnellement d’un tel passif.
Cette femme est obéie (par les enfants).
On lui a menti.
Et les phrases intransitives directes comportant un autre complément introduit par une préposition n’en disposent pas.
Un énervé a sauté sur le pauvre gars.
On parle de cette personne.
On s’assied autour d’elle.
Toutefois, certaines phrases, selon le contexte, se satisfont bien que de privilégier la chose sur la personne sujet.
Un livre lui a été donné.
Cette tâche lui a été dispensée.
Des couverts sont placés devant elle (par son frère).
La formule d’insistance c’est ... qui permet, au besoin, de mettre plus l’accent encore sur le sujet de la phrase passive.
Pour palier au premier défaut, la langue dispose d’une deuxième forme de passif, employant pronominalement faire, qui pourrait donc être considéré ici comme un auxiliaire à part entière, et non plus comme un verbe ou un semi-auxiliaire.
La souris se fait manger (par le chat).
Le favori se fait battre (par son adversaire).
Le criminel se fait arrêter (par la police).
La syntaxe est semblable. Le complément d’agent est identiquement formé, et, de même, sa suppression ne pose aucun problème.
La tournure progressive avec en train peut encore être employée.
La souris est en train de se faire manger (par le chat).
Le favori est en train de se faire battre (par son adversaire).
Le criminel est en train de se faire arrêter (par la police).
La répétition de être est alors évitée. Évidemment, en situation réelle, il s’entendrait facilement « La souris est en train de se faire bouffer (par le chat). », mais il s’agit là d’une question purement lexicale.
Pour palier, dans la mesure du possible, aux autres défauts, la langue dispose toujours de cette deuxième forme de passif.
Il se fait couper les cheveux (par son père).
Mais certains verbes admettent difficilement une telle construction.
On lui a donné un livre.
En particulier, les phrases transitives indirect mais intransitives directes, n’acceptent que rarement un tel passif.
Cette femme se fait obéir (par les enfants).
On lui a menti.
Afin de rendre sujet le groupe nominal se trouvant derrière une préposition n’introduisant pas un complément d’objet indirect, il est parfois nécessaire de préfixer de- à cette préposition.
Le pauvre gars s’est fait sauter dessus par un énervé.
Là encore, ce passif ne s’applique pas à toutes les phrases structurées ainsi.
Son frère place des couverts devant elle.
On s’assied autour d’elle.
Une tournure active proche peut occasionnellement s’y substiuer lorsque le sujet est indéfini.
Cette personne fait parler d’elle.
Ce passif a donc aussi ses limites.
Par ailleurs, le verbe pronominal faire a un sens actif. L’action qui suit est alors volontairement provoquée. Ainsi, « Il se fait construire une maison. » n’est pas une phrase passive, mais est plutôt l’équivalent de « Il fait construire une maison pour lui-même. » La similairité de construction rend certaines phrases ambigües, car elles peuvent être comprises de l’une ou l’autre manière.
Il s’est fait dispenser de cette tâche.
Cette femme se fait obéir (par les enfants).
Un lien de causalité peut apparaitre dans ces phrases, l’action pouvant être implicitement provoquée par le complément d’agent.
Que le sujet subisse ou provoque l’action, faire place le sujet comme acteur. Aussi, il s’applique plutôt à des êtres doués d’action, et difficilement à des choses. Pour être mises au passif, les phrases concernées requièrent donc le passif conventionnel.
La femelle incube les œufs pendant plusieurs mois.
On est en train de cuire les petits fours.
Outre les différences résultant de leurs particularités évoquées dans les sections précédentes, les deux passifs comportent quelques différences sémentiques.
Ainsi, le passif conventionel s’applique parfois avec un niveau de langue plus soutenu, l’autre passif avec un niveau de langue plus familier.
Il a été tourmenté par le professeur de géographie.
Il s’est fait jeter par le prof de géo.
D’autre part, le passif conventionnel livre parfois un état s’appliquant au sujet, et l’autre passif une action subie par le sujet.
Il est piégé (par son adversaire).
Il se fait piéger (par son adversaire).
Pour certaines phrases, aucun des deux passif ne s’applique.
On lui a menti.
On s’assied autour d’elle.
Enfin, l’emploi d’un passif a peu d’intérêt avec les verbes disposant à la fois d’un sens actif et d’un sens passif.
On cuit les petits fours.
Les petits fours cuisent.
Le passif conventionnel est parfois appelé « passif promotionnel », car il permet de donner à l’objet la fonction de sujet. Il s’oppose alors au « passif essentiellement impersonnel », pour lequel le verbe subit une tranformation identique, à ceci près qu’il se retrouve systématiquement à la troisième personne du singulier.
Il est déclamé des textes (par leur auteur).
L’autre passif peut se ranger parmi les diathèses, correspondant à ce qui est passif d’un point de vue sémentique, mais pas nécessairement d’un point du vue syntaxique. Formellement, il s’agit là plus d’un causatif que d’un passif, ainsi que le montre sa composition lexicale. Le verbe « faire » employé pronominalement semble bien indiquer un lien de causalité, mais la sémentique le fait facilement passer de l’un à l’autre. D’autres diathèses se rencontrent encore.
Il s’est vu rappeler à l’ordre par son chef.
Elle s’est vu récompensée de ses efforts par son entourage.
Il s’est trouvé refoulé à l’entrée.
Les verbes conjugués impersonnellement placent également le sujet à la place de l’objet.
Il se pointa un individu étrange.
Il trotte dans sa tête des idées bizarres.
Mais il ne peut alors pas intervenir de complément d’agent.
Une action subie peut enfin être exprimée par un verbe à l’actif.
La soirée s’organise.
Il a pris une claque.
Enfin, voici une définition du passif, pour laquelle « ne seront considérées comme passives que des structures présentant suffisamment de caractéristiques formelles communes », proposée par David Gaatone : « Est dit passif tout participe passé dont le support n’est pas le premier argument de son lexème verbal, et est raccordable à ce support par être, indépendamment du temps-aspect. »
En anglais :
En breton :
On ne peut pas se faire être combiné les deux passifs, la phrase qui en résulterait ne serait ni active, ni passive, mais seulement très incorrecte.