La verte ou la rouge

Certains adjectifs ont la particularité d'être parfois nominalisés. Mais, ce phénomène ne doit cependant pas être généralisé à tort. Une analyse trop rapide pourrait, par exemple, donner la verte ou la rouge comme exemple de ce phénomène.

Sommaire

  1. I. Faux syllogisme
  2. II. Seconde nature grammaticale de la, le, les
  3. III. Nominalisation de l'adjectif, pronominalisation de l'article, ou pas
  4. IV. Conclusion

I. Faux syllogisme

Le français dispose des articles définis la, le, et de leurs formes contractée l' et plurielle les, et des articles indéfinis un, une, et de leur forme plurielle des. Or, après un article, la syntaxe veut qu'il apparaisse un nom. Donc, si après la, le, l', les, un, une, des apparait un adjectif et que celui-ci n'accompagne pas un nom, cela signifie que l'adjectif est nominalisé.

Certains adjectifs sont en effet parfois nominalisés. Cependant le raisonnement précédent comporte néanmoins une erreur. Car il n'envisage ni d'appliquer d'autre catégorie grammaticale à la, le, l', les, un, une, des que celle d'article, ni de prendre en considération le nom auquel la proposition fait référence.

II. Seconde nature grammaticale de la, le, les

Or, la, le, l', les, ne sont pas toujours des articles. Ils peuvent aussi être des pronoms. L'exemple le plus évident est leur emploi en tant que complément d'objet direct, comme dans les phrases qui suivent.
Je la vois.
Je le vois.
Je l'ai vu(e).
Je les vois.

À noter que les équivalents indéfinis sont légèrement différents, puisqu'ils requièrent le pronom en, comme le montrent les phrases suivantes.
J'en vois un.
J'en vois une.
J'en vois.
Le pluriel se passe de l'article, bien qu'on le rencontre parfois à l'oral avant une relative.
J'en vois (des) que je n'entend pas.

Un autre exemple se trouve dans les mots interrogatifs. Pour supprimer le nom dans quelle chemise, quel pantalon, quelles chaussures, quels gants, on utilise, respectivement, laquelle, lequel, lesquelles, lesquels. Il apparait clairement que la, le, les (féminin), les (masculin) remplacent le nom et sont donc pronominalisés. On retrouve en effet, respectivement, l'adjectif quelle, quel, quelles, quels inchangé. Il n'apparait toutefois qu'un mot, car les deux éléments sont soudés, mais il ne s'agit là que d'une convention d'écriture. Il en va évidemment de même pour les pronoms relatifs correspondants, puisqu'ils sont formés similairement.

En réalité, si après la, le, l', les, un, une, des se trouve un adjectif et que celui-ci n'accompagne pas un nom, cela signifie soit que l'adjectif est nominalisé, soit que l'article est pronominalisé, soit que le nom élidé conserve sa valeur grammaticale.

III. Nominalisation de l'adjectif, pronominalisation de l'article, ou pas

Un moyen de vérifier si l'adjectif est nominalisé consister à s'intéresser à ses propriés. Car si l'adjectif garde ses propriétés, c'est qu'il n'est pas nominalisé.

Dans des vertes et des pas mûres, la négation montre met en valeur des propriétés d'adjectif. En effet sa négation est ici effectuée avec pas. Or la négation d'un nom se fait avec l'élément de composition non- ou avec le préfixe in-. Ainsi, le contraire de l'existence est non-existence, inexistence, et aucunement pas existence.

De même, l'emploi d'un adverbe, comme dans des très mûres, montre encore un emploi adjectival. Le superlatif est également construit de cette manière. Mais, l'élision du nom apparait clairement surtout avec les adjectifs antéposés. Ainsi, la plus grande signifie, par exemple, la plus grande maison, et, en inversant la structure, la maison la plus grande, avec redoublement de l'article. La première forme obligeant à une antéposition, la seconde s'applique aux adjectifs postposés ; il serait en effet incorrect d'intercaler le nom entre l'adverbe et l'adjectif. Par exemple, les fruits les plus mûrs est plus idiomatique que les plus mûrs fruits (les plus fruits mûrs éant incorrect). Mais les plus mûrs ne doit pas être analysé autrement pour autant.

Dans les exemples précédents, donc, soit c'est l'article qui est pronominalisé, soit aucun changement de catégorie grammaticale n'est opérée, le nom élidé conservant alors son rôle syntaxique. Cette dernière hypothèse est commnuément retenue. C'est pourquoi, dans la verte ou la rouge, faisant référence à un objet (ici féminin) quelconque, il est considéré que l'adjectif n'est aucunement nominalisé. On pourrait en effet dire la peu verte ou la bien rouge.

Cependant, deux adjectifs peuvent se côtoyer dans une telle construction ; par exemple, la belle bleue. Mais cela n'invalide pas le raisonnement précédent, car belle est analysé comme complétant le nom élidé complété par le second adjectif, plutôt que complétant le second adjectif lui-même. Ainsi, l'exemple pourrait signifier la belle boule bleue.

Toutefois, certains adjectifs peuvent être nominalisés. Par exemple jeune ou vieux, lorsqu'ils signifie « personne d'un certain âge ». Mais, parallèlement à une jeune, un jeune, une vieille, un vieux désignant de facto une femme ou un homme, se trouvent une [très] jeune, un [très] jeune, une [très] vieille, un [très] vieux désignant aussi bien un une femme ou un homme qu'une tortue, un éléphant, une plante, un véhicule, etc. Mais dans ces derniers cas, l'adjectif n'est nullement nominalisé.

IV. Conclusion

Bien que n'étant pas nominalisés dans la verte ou la rouge, les adjectifs vert et rouge peuvent cependant l'être. C'est le cas pour le vert et le rouge, désignant respectivement la couleur verte et la couleur rouge. Et rouge peut encore être nominalisé avec autre sens. Cet emploi est illustré dans la phrase qui suit. Prends un verre et sers-moi un rouge.