Contre-article sur tout étonnée, mais toute surprise

La règle d’accord de l’adverbe tout peut, à juste titre, donner sentiment au profane qu’il y a là sujet à perplexité. Alors que le bref article de l’Académie française propose d’expliquer son étrangeté par des considérations historiques, au demeurant fort instructives, il a semblé intéressant d’apporter un éclairage complémentaire en s’appuyant sur une étude de l’emploi actuel du mot afin de décrire le phénomène.

Sommaire

  1. I. Présentation de la règle
  2. II. Critique
  3. III. Étude de l’accord
  4. IV. Proposition de règle
  5. V. Emploi avec un numéral
  6. VI. Cas du pronom, du nom et de l’adjectif
  7. VII. Citations
  8. VIII. Conclusion
  9. Toilographie

I. Présentation de la règle

L’adverbe tout est invariable, sauf devant un adjectif féminin commençant par une consonne. Nous avons ainsi :
Il est tout surpris. Il est tout étonné.
Ils sont tout surpris. Ils sont tout étonnés.
Elle est toute surprise. Elle est tout étonnée.
Elles sont toutes surprises. Elles sont tout étonnées.

La règle découle de deux postulats, dont le premier est : l’adverbe est invariable ; et le deuxième : un mot est soit invariable, soit variable en genre et en nombre.

L’adverbe tout est donc invariable lorsque la prononciation ne s’y oppose pas, en accord avec le premier postulat, c’est-à-dire au masculin, singulier et pluriel, et au féminin, singulier et pluriel, devant une voyelle. Au féminin, cependant, l’accord en genre se fait entendre devant une consonne. L’adverbe tout est alors variable, en genre et en nombre, en accord avec le deuxième postulat.

Il s’agit d’une règle normative qui n’est pas rigoureusement appliquée par tous les auteurs, puisque certains marquent l’accord au féminin singulier. Nous pouvons donc avoir aussi :
Il est tout surpris. Il est tout étonné.
Ils sont tout surpris. Ils sont tout étonnés.
Elle est toute surprise. Elle est toute étonnée.
Elles sont toutes surprises. Elles sont tout étonnées.
La règle est alors la suivante : l’adverbe tout est variable, sauf au féminin pluriel devant un adjectif commençant par une consonne.

II. Critique

Les postulats précédents sont quelque peu problématiques, car ils posent la règle générale avant l’étude du cas particulier. Or le cas particulier ne suit ici visiblement pas la règle générale, puisqu’il oblige d’une manière ou d’une autre à une exception. Aussi, s’efforcer de faire coller tant bien que mal le cas particulier à la règle générale est en fait assez artificiel, puisque l’exception créée montre qu’il ne suit justement pas la règle générale.

En l’occurrence, l’exception engendre ici d’une part une dissymétrie entre masculin et féminin, puisque l’adverbe tout est toujours invariable au masculin, mais variable dans certaines circonstances au féminin, et d’autre part une dissymétrie au féminin, selon que l’adjectif qui suit commence par une consonne ou par une voyelle.

De cette manière, la tentative de régularisation de l’adverbe tout, en lui refusant des règles d’accords propres, provoque un phénomène non moins étrange : le caractère consonantique de la lettre initiale d’un adjectif au féminin provoque la variabilité de l’adverbe tout qui le précède.

III. Étude de l’accord

Pour comprendre ces accords, il convient d’observer simplement comment interagissent les mots entre eux, en faisant abstraction des précédents postulats. Pour les exemples, se référer à la première section de cet article.

Au masuculin singulier, il n’y a pas d’hésitation possible, car c’est la forme non marquée qui s’applique dans ce cas. Il n’y a donc pas de marque d’accord, ce qui est confirmé par la liaison devant un adjectif commençant par une voyelle.

Au masuculin pluriel, la marque du nombre ne se fait pas entendre devant une voyelle. L’adverbe ne varie donc pas en nombre au masculin.

Au féminin, singulier et pluriel, la marque du genre se fait entendre devant une consonne. L’adverbe tout varie donc en genre, cela restant cohérent lorsque l’adjectif commence par une voyelle.

Au féminin pluriel, la marque du nombre ne se fait pas entendre devant une voyelle. Ce trait est commun avec le masculin, comme cela est apparu plus haut. L’adverbe est donc invariable en nombre quelque soit son genre.

L’adverbe tout est variable en genre et invariable en nombre. Nous avons là une logique grammaticale cohérente. En outre, il n’y a aucune raison d’accorder différemment l’adverbe selon la lettre initiale de l’adjectif qui le suit. Au contraire, cette dernière, de par le fait qu’elle permet d’entendre la marque éventuelle du genre ou du nombre, fournit les informations nécessaires relatives à l’accord de l’adverbe qui précède.

La pratique « chez de bons auteurs » de noter « curieusement » la marque du féminin devant une voyelle (« elle en est toute étonnée »), se justifie donc en réalité pleinement, même si cette pratique n’est effective qu’au singulier. Elle réduit en effet l’incohérence au cas du pluriel, duquel seul provient la difficulté.

Malgré la graphie qui lui a été appliquée, la phonologie montre que l’adverbe tout suis la règle ici énoncée. Certainement l’orthographe gagnerait-elle néanmoins à transcrire la langue au plus fidèle, et à évoluer avec elle.

IV. Proposition de règle

L’adverbe tout étant variable en genre et invariable en nombre, on pourrait écrire :
Il est tout surpris. Il est tout étonné.
Ils sont tout surpris. Ils sont tout étonnés.
Elle est toute surprise. Elle est toute étonnée.
Elles sont toute surprises. Elles sont toute étonnées.

Ainsi, de même que l’on différencie « ils sont tout surpris » (ils sont complètement surpris) de « ils sont tous surpris » (tous sont surpris), on différencierait, en transposant au féminin : « elles sont toute surprises » (elles sont complètement surprises) de « elles sont toutes surprises » (toutes sont surprises). En effet, le sens diffère, car tout ne complète plus l’adjectif lorsqu’il porte la marque du pluriel, puisqu’il s’agit alors du pronom et non plus de l’adverbe.

V. Emploi avec un numéral

Les dictionnaires et grammaires donnent tous deux comme exemple d’emploi de tout en tant qu’adjectif. Mais, en l’absence d’article, tout semble pourtant compléter un adjectif numéral. Or, les adjectifs sont ordinairement complétés par des adverbes et non par d’autres adjectifs. Que l’on compare les quelques phrases :
Tout étonnés qu’ils étaient, ils partirent. Ils partirent tout étonnés.
Tout surpris qu’ils étaient, ils partirent. Ils partirent tout surpris.
Tout deux qu’ils étaient, ils partirent. Ils partirent tous deux.

Cela peut expliquer que la phrase « ils partirent tous onze » soit peu encline à être lue autrement qu’avec une liaison en t, puisque l’adverbe ne varie pas en nombre au masculin. Au besoin, la mise au féminin de cette phrase confirmera le propos.

Toutefois, la forme « tous onze », se rencontre à l’écrit. Mais cela est probablement plus dû à un respect de la règle conventionnelle qu’à la liaison effective. Les grammaires restent plutôt silencieuses sur ce point, déclarant, au contraire, que l’emploi de tous suivi directement d’un numéral, sans l’article défini les, est ineffectif, au-delà de dix ou, plus récemment, de quatre. De telles formes, cependant, bien que très occasionnelles, peuvent être relevées, et n’ont rien d’incorrect.

Ainsi, il serait conséquent de rectifier la forme devant un numéral en accord avec la règle d’accord de tout en tant qu’adverbe. On pourrait donc écrire au masculin : tout deux, tout trois, ..., tout onze, ... Et au féminin, par conformité avec la règle usuelle de l’adverbe : toutes deux, toutes trois, ..., tout onze, ... Ou selon la règle ici proposée : toute deux, toute trois, ..., toute onze, ...

VI. Cas du pronom, du nom et de l’adjectif

Le pronom varie en genre et en nombre, sans ambigüité possible, car, au contraire de l’adjectif et de l’adverbe, la prononciation du pronom tout diffère au masculin singulier et au masculin pluriel. Les liaisons viennent par ailleurs confirmer la variabilité du pronom, au masculin comme au féminin. Les règles d’accord ce pronom sont donc satisfaisantes en l’état.

Le nom est masculin, et son pluriel, touts, est régulier. Hors liaison, le singulier et le pluriel ont la même prononciation.

L’adjectif tout est variable en genre et en nombre. La liaison est nettement audible dans certaines expressions : tous azimuts, toutes affaires cessantes. Du point de vue de la prononciation, les formes masculines s’apparente au nom, et non au pronom. L’adjectif gagnerait donc à s’orthographier de même que le nom, et à être ainsi régularisé.

Cependant, l’adjectif s’emploie habituellement au singulier devant un nom, et la généralité ainsi exprimée induit un sens pluriel : tout homme, toute femme. D’où une certaine fluctuation dans certaines expressions : de toute(s) part(s), en tout point (en tous points), à toute(s) bride(s), à toute(s) pompe(s). Force est de constater que le langage parlé privilégie parfois le singulier, même s’il est parfois hésitant sur la liaison éventuelle à effectuer : tout âge confondu/tous âges confondus, toute épreuve confondue/toutes épreuves confondues.

VII. Citations

VIII. Conclusion

Ces propositions de rectification de l’accord de l’adverbe, toute emplies de bon sens et toute dénuées de prosélitisme d’aucune sorte, pourraient, malgré les habitudes qu’elles bousculent, trouver grâce auprès des personnes sensibles au traitement des genres dans les accords ici présentés. Mais, outre la question de l’adverbe, se pose aussi celle de l’adjectif, puisqu’ils pourraient être rectifiés tout deux.

Toilographie